5.3.06

Lettre d'un inconnu : un autre regard sur le cancer.

Secoué à la lecture d'un email de Baptiste, 20 ans, ami d'Arielle, touché par le cancer à l'âge de 16 ans, je me permets de vous faire partager son regard sur la maladie, différent du mien, mais complémentaire. Voici le texte intégral.

"Il n'y a que les ressemblances qui rassurent. Les mois, les semaines, les saisons, les années se ressemblent. À la même heure on arrive ; à la même on déjeune ; à la même heure on s'en va ; cela de vingt à soixante ans. Quatre accidents seulement font date dans nos vies : la naissance, l'union, la mort de son père et puis celle de sa mère. Pour nous, il faut rajouter le cancer.

Je ne te connais pas et c'est préférable. Que ferions-nous si nous nous connaissions ? De toute façon, à travers les yeux des gens qui nous sont proches, c'est souvent un inconnu qu'il regarde et quand on est malade, s'épuiser à savoir qui sont vraiment ces personnes ne doit pas être une priorité. Il n'est pas nécessaire de gaspiller tes forces pour moi, je reste un inconnu pour toi et l'on s'en portera mieux.

Heureusement les tumeurs ne sont pas les seules choses que nous avons en commun : il y a aussi Arielle. À croire que pour faire partie de ses amis, deux qualités sont requises : être cancéreux et homosexuel. Me parlant de toi de façon assez liminaire, l'idée de t'écrire ne s'en est faite que plus grande. Sûrement un instinct grégaire refoulé. Tu dois te dire que je suis névrosé, tu n'as pas tort (c'est ce qu'Arielle dit de moi, sauf qu'elle ajoute le qualificatif "petit"). Il faudrait que je lui dise qu'il y a des lustres que c'est au contact des hommes que j'ai perdu toute la fraîcheur de mes névroses.

Je ne sais trop comment te dire qui je suis. Je suis entré dans ma vie comme on se trompe de porte. Je sais aussi que peu de gens se trouvant à ma place supporteraient d'être moi. J'avance seul, c'est pour cela que j'arrive toujours le premier. Mes lignes d'arrivée, j'ai mainmise dessus. La dernière, je l'ai franchie lorsque l'on m'a dit que mon corps était en rémission complète persistante. Toi et les autres allez me dire que je n'étais pas tout seul, qu'ils y avaient les braves toubibs, les gentilles infirmières et ma chère famille. Mais bon, pour moi c'est comme en Formule 1, l'équipe est derrière le pilote mais c'est lui seul qui gagne. Et puis, quand on y pense, les médecins, ce sont des garagistes...

Je suis un dégénéré (chose peu originale pour un rescapé du cancer). Malade, j'ai méprisé les autres tant que j'ai pu, peut-être à cause d'une étude personnelle trop prolongée. C'est vrai que paradoxalement la maladie rajoute du temps à ta vie et il faut bien le foutre quelque part ou du moins l'utiliser. Je sais aussi qu'un jour il faudra le rendre. Ensuite, il paraît que je suis devenu égoïste, même si je criais partout que les personnes vraiment égocentriques étaient celles qui ne pensaient pas moi. J'ai essayé au mieux de faire mon autocritique, d'arrêter de prendre la raie de mon trou du cul comme ligne équatoriale de l'origine de l'humanité mais je n'y suis pas arrivé... Maintenant je suis à la fois tout et rien dans la même seconde. La maladie n'a fait qu'inter changer mes défauts.

Je ne suis pas des plus légitimes pour parler de la mort. Au début je pensais que c'était une maladie de mon imagination. Puis j'ai compris qu'elle avait un ami collabo dont personne n'osait parler : le cancer. Putain, qu'il s'est amusé en pédiatrie ! Tous ces gamins qui discutaient avec, sans même se douter que c'était lui qui allait les pousser par-dessus bord ! Certains d'entre eux ont survécu, mais pas assez de bouées pour tous les sauver. Évidemment j'ai agrippé la première qu'on m'a lancé. Par acquit de conscience j'ai fait le voyage jusqu'en enfer, puis une fois là-bas, on m'a dit qu'on ne viens pas ici juste pour allumer sa cigarette. Il m'a donc fallu revenir parmi vous.

C'est la jalousie qui me fait t'écrire. Ton bouquin va sortir et j'ai pu comprendre qu'il devrait être plus poilant que l'hypothétique livre dont ma cervelle n'a pu accoucher. Le mien, c'est comme si on avait balancé à fond le Requiem de Mozart dans un service de gériatrie. Mais je rassure les vieux dans les hôpitaux, mon livre je l'ai commencé mais jamais terminé. Amadeus non plus n'a pas achevé sa dernière oeuvre. Ècrire, c'est rentrer en soi, effort dont je suis cellulairement incapable. Même armé jusqu'aux dents, je n'y arrive pas, je suis trop fort pour moi ! Je reste alors au bord de moi-même, à l'intérieur, il y fait bien trop sombre.

Ce mail me fou la nausée. Effet secondaire d'une chimio qui me colle à la peau du coeur ; je viens pratiquement de te vomir dessus, l'infirmière étant trop occupée à m'apporter son haricot en carton. T'en fais pas, mon vomis ne contient que de la peur, tout le monde devrait savoir qu'elle n'a pas d'odeur. Il n'empêche, je suis désolé.

Tu es encore malade et néanmoins j'ai l'impression que tu as trouvé la seule possibilité au bonheur : croire en ce qu'il y a de plus indestructible en toi et ne jamais renoncer à l'atteindre. Bravo ! Je me demande ce que tu fais en ce moment. T'es peut-être en aplasie. C'est dingue comme j'ai pu adorer cet état. Ce tête-à-tête avec ta conscience. On pourrait se trouver gêné face à elle, mais Socrate avait raison : "Connais-toi toi-même". Après tu comprends que vivre n'est pas un droit mais un devoir.

Je finis de t'écrire ces lignes dans le café où je les avais commencé. Auncune évolution probante de la race humaine n'est à déclarer. Elle se suffit à elle-même. Plus j'essaye d'aimer l'humanité en général, moins j'aime l'individu en particulier. Mais toi qui es-tu ?"

Merci de lire un livre sur le cancer des testicules !

Quel accueil vous avez réservé à mon bouquin ! Je ne pouvais pas en espérer tant. Merci à tous ceux qui ont achété et lu ce livre, qui en parle autour d'eux, qui n'hésite pas à inciter leur entourage à le découvrir. C'est la meilleure manière pour moi de rendre au cancer du testicule une certaine visibilité car nous sommes dans une époque où on se fascine pour les nouveaux virus comme la grippe aviaire et on laisse de côté les principales causes de mortalité comme le SIDA (Ah ça, on en parle plus du tout), le cancer, le suicide... On ne meurt pas encore de la grippe aviaire (et tant mieux) mais toujours du SIDA et du cancer. Toujours. Alors attention de ne pas perdre de vue l'essentiel.

Merci à tous ceux aussi qui m'ont soutenu lors de ce projet et à tous les lecteurs qui prennent un peu de temps pour m'écrire. C'est d'un grand réconfort actuellement. Votre attention me touche.

MERCI.

3.3.06

Chimiothérapie intensive : acte 2, expérience périlleuse bis. Je pleure ma liberté.

Quelle épreuve ! Il suffira d'avoir fait deux cures de quatre semaines de chimiothérapie intensive pour avoir perdu 15 kilogrammes. Pour ceux qui me connaissent, ce n'est pas une bonne nouvelle lorsqu'on sait que je faisais 65 Kg pour 1m89, il y a deux mois ! J'ai fondu comme neige au soleil jusqu'à perdre ma masse musculaire. Je suis rachitique, maigrelet, je tiens à peine sur mes deux cannes lorsque je vadrouille dans mon appartement de pièce en pièce. Bref, le traitement me bouffe. Il faut ce qu'il faut pour éradiquer le mal. Alors j'accepte.

Cette fois-ci la chimiothérapie ne ressemble pas à la première, ce sont des molécules différentes. Avant de commencer de recevoir les produits dans mon corps, je me dois d'être patient deux jours. Je rentre dans une période d'hydratation. Il faut que mon corps soit dans l'eau afin de faciliter l'évacuation de la chimiothérapie lorsqu'elle me sera administrée. Lundi, le protocole se met en place, il y a trois molécules différentes que l'on me passe en douze heures chaque jour pendant cinq jours pleins. Vendredi, je suis détruit. Je vomis dans l'excès. Niveau fatigue, je suis au maximum. Tellement je gerbe, je sens mon corps se détruire petit à petit de l'intérieur. J'ai mal.

Deuxième semaine, je rentre en aplasie. Je m'estime plus chanceux que la première fois, la mucite est moins forte. Mais... Les effets secondaires de la chimiothérapie persistent. On ne peut pas gagner sur tous les plans ! Je continue à vomir. J'arrête de manger. Je tiens grâce à l'alimentation par intraveineuse. Mon corps souffre, c'est global comme sensation. Le traitement m'enfonce au creux de mon lit, je perds du poids, ma peau s'asséche, je pèle. Le temps est long, l'enfermement me rend dingue, je pense trop. La collaboratrice du cancer est là : la peur. Je suis effrayé. De quoi ? De tout.

Troisième semaine, Les vomissements s'estompent mais... J'ai l'intime sensation que mon corps lâche d'un cran. La chimiothérapie me crée des séquelles internes. Je souffre trop du ventre. Ce que c'est vague. Et pourtant, je douille. Mon autonomie disparait, je me sens comme une andouille. Les médecins commencent à prendre immédiatement au sérieux mes remarques. Le ballet des examens est ouvert, cette farandole de mauvais goût m'exténue car je cumule la douleur et la fatigue. Échographie, scanner abdominaux pelvien et la surprise du chef une fibroscopie ! Beurk. Quel traumatisme de recevoir un tube avec au bout une petite caméra au fond de sa gorge ! Surtout qu'il poursuit sa route dans mon for intérieur irrité. En effet, la conclusion de l'examen m'apprend que la chimiothérapie m'a créé un joli ulcère et que mon oesophage est abîmé, toujours à cause de l'agressivité de ce traitement de cheval. Évidemment, je comprend mieux pourquoi je suis tordu en quatre dans mon lit. Je suis sous anti-douleur. J'ai mal. J'attends que ça passe.

Quatrième semaine, je ressemble à rien, une chose est sûre, ce n'est plus vraiment moi. Physiquement délabré, mon moral suit cette tendance néfaste. Je craque. Les douleurs s'estompent mais l'enfermement me pèse. Le fait de ne plus manger me contrarie car dans ma tête je veux manger. Mais mon corps n'en est pas capable. Alors je zappe les chaines de tv et j'éteins, car j'y vois de la bouffe pleins l'écran. ça me file la nausée. Et je pleure. Je pleure. Même lorsqu'on me téléphone, même lorsqu'on vient me voir. Je pleure sans cesse. C'est le summum de la souffrance. Ma résistance descend d'un cran. Bref, je pleure jusqu'au jour de la libération où une fois dehors, plus de larmes, juste l'envie de respirer et d'être enfin en paix un court moment. Une semaine seulement, car après il faut y retourner. Encore ! Oui, mais ce sera la dernière fois - si tout va bien.