27.12.05

La libération par l'écriture.

J'ai envie de vous raconter comment je suis parvenu à écrire mon premier livre.

Curieusement, si je n'étais pas tombé malade, je n'aurais jamais écrit une ligne ! Au bord du précipice, l'homme réagit. Eh bien, en équilibre, nargué par la mort, je ne déroge pas à la règle, je prends conscience de la valeur de la vie, la mienne, celle que je bâcle inconsciemment. Seul face à moi-même, je m'affronte, faire le point s'impose. Comment me suis-je retrouvé dans les griffes de ce cancer ? Pourquoi ? Est-ce que quelqu'un pourra m'expliquer le "pourquoi du comment" de cette sévère punition ? Mystère.

Peu m'importe. L'essentiel est de m'en tirer. Alors l'instinct de survie s'en mêle en me proposant de me battre. Sur la défensive, je me rends compte que la maladie m'empoisonne la vie au point de me mettre plus bas que terre. L'humiliation s'exprime à tous les niveaux : amorphe physiquement, exclu de la moindre activité professionnelle, mon compte en banque éventré. Que me reste-t-il pour pouvoir continuer de vivre ?

Ma famille, mes amis, la musique, le cinéma, la bonne bouffe, l'amour... Oui, mais pour vaincre cette merde, je dois être armé. Le temps que cette dernière m'offre reste ma seule richesse. En effet, tellement malade, je consacre tout mon temps aux soins. Ce cancer m'oblige à tout interrompre. Mais ce coup de frein ne me fera pas le coup du lapin. Car le déclic vient de se produire, je suis outillé pour me sentir en paix face à cet intimideur d'ennemi tumoral. Mon fusil chargé d'encre noire me réconforte face à la pression de ce dictateur sournois maîtrisant l'art de feindre.

Effrayé par le cancer, plus j'écris, plus je m'apaise. Quelques pages retraçant mon parcours dessinent les grandes lignes d'un projet aujourd'hui presque abouti. Avril 2004, je couche mes premières idées sur le papier, l'histoire est dans ma tête, tout s'impose à moi, les thèmes, la construction, les personnages, le style, la fantaisie. Bref, je découvre un univers qui me ressemble. Je me regarde en face à travers mes écrits. Je me déteste. Je m'aime. Tout dépend de l'humeur. Mais jamais je ne décide d'arrêter, simplement parce que plus j'avance, plus j'apprends.

Au cours de mon épreuve, l'écriture me soulage des maux cérébraux. De plus, elle a le pouvoir de me faire comprendre que ce n'est pas parce que mon corps souffre que ma tête doit en pâtir obligatoirement. Écrire me rappelle que le cancer cherche à me faire penser que moralement je vais mal. Illusion pestilentielle, il n'en est rien. Je ne suis pas fou. Seul la maladie est folle pour s'immiscer ainsi dans la vie d'autrui en détruisant l'équilibre de l'être lors de son passage.

Janvier 2006, je m'apprête à sortir en auto-édition mon premier livre, témoignage du jeune garçon de vingt-six ans que je suis, atteint de ce cancer, aussi collant qu'un morpion habitué aux "spray pax" racontant son parcours avec un humour grinçant, ses peines et ses joies, car même en période charnière, la vie nous offre aussi des moments de bonheur.

Toujours et encore en soin, la sortie de ce livre reste à mes yeux un évènement majeur. La motivation à supporter des traitements aussi lourd réside dans ce projet affectif. Ce livre m'aide à avancer en évitant le cul-de-sac du désespoir en me faisant bifurquer sur le carrefour de l'échange. Sauvé du caniveau par ce dernier, le sentier de l'effort me déposera dans la contre-allée de l'échappée belle et je résiderais pendant de longues années sur l'avenue de la liberté. Peut-être.

Je marche sur mes œufs.

Qui suis-je ? Un jeune homme de vingt-cinq ans, vendeur dans un vidéoclub indépendant, auteur d'un premier livre dont je vous parlerai avec plaisir plus tard, en arrêt longue maladie pour la énième fois, en plein traitement de chimiothérapie pour mettre K.-O. mon ennemi tumoral venu se loger sur mes parties intimes. Oui, il s'agit bien de "mes", car - rare - mais ce fût mon cas, la paire a été plus que bafouée puisqu'aujourd'hui, je peux le dire : pour tenter de conserver ma vie, mes testicules sont décédés !

Alors oui, la vie est ainsi faite, je décide de le dire "haut et fort" afin de retrouver une identité de garçon. Les testicules étant considéré comme les signes, les témoins de la virilité, je décide de publier une photo de moi pour me présenter, même si elle vous fera penser schématiquement au garçon "cancéreux sans couilles". Tant pis. Ce n'est pas grave. N'ayant pas le choix, j'assume. Car je prends cette décision en connaissance de cause sur l'incident superficiel que cela peut jouer sur mon image de m'afficher comme tel.

Je n'ai plus de testicules. J'ai encore le cancer. Je vis encore. Alors, j'y crois. Je me bats pour récupérer ma vie - si précieuse - à mes yeux.