Jeudi 20 juillet, le matin, je me lève avec une douleur fixe et volontairement tenace. Obstinée et pernicieuse, elle rend le confort de ma vie éphémère. Et perturbatrice, elle crée le doute car je ne sais pas si j'ai mal au ventre (un ulcère ?), au côlon (le transit qui se détraque avec la chaleur ? Mais non, pourtant, je fais des beaux cacas bien moulés), au foie (les lésions hépatiques se propagent ? Où alors s'en vont ? Le cancer s'en va ou revient ?). Alors j'appelle l'hôpital. Facile, c'est ce qu'il faut faire lorsqu'on se lève avec une douleur qui chahute mon humeur.
Simple comme un jeu d'enfant, une journée après, vendredi matin, le mal persistant me pousse à faire ce coup de fil élémentaire. J'appelle. Qui ? L'hôpital de jour (là où je vais mes cures de Gemzar (la chimio)). Personne ! Casse-pieds, je réitère et je tombe sur un réceptionniste plutôt fâcheux. "C'est les vacances et l'hôpital de jour est fermé le vendredi", voilà ce que me dit le pseudo agent d'accueil (un mot sur deux ressemblait plus à une langue inexistante plutôt qu'à du français et son ton jovial donnait envie de ne plus être cancéreux souffrant mais nettoyeur à la Reno dans Léon de Besson). Une guerre sans fin commence entre Fred (mon copain le roquet) et le monsieur de l'accueil de l'hôpital. Bref, tout ce merdier, juste pour nous dire qu'il ne faut pas être en difficulté le vendredi et le week end.
Laborieuse mésaventure, je continue tant bien que mal à supporter cette douleur aussi têtue qu'un gay qui ne veut pas coucher avec la plus belle bombe (femme évidemment) du moment. Alors mon roquet chéri aboie sur tout ce qui peut, ce qui permet quand même de débloquer la situation et d'avoir enfin un oncologue spécialisé au bout du fil. Sauf que lui, il ne s'est pas ce que j'ai et qui je suis. Mais il peut quand même à distance consulter mon dossier. En cinq minutes, il me conseille de prendre de la morphine (je n'avais pas attendu qu'on me le dise !) et de rajouter un autre médicament. De plus, il me dit que si j'ai mal c'est à cause de mes lésions hépatiques. Mes quoi ? Mon cancer ! Bien monsieur. Merci monsieur (de me dire que j'ai grave le cancer ! Encore !) Sage et raisonné (ça m'arrive), je tente de calmer la douleur en me disant qu'il a préféré parler du pire afin de se protéger (donc sans me protéger). Après tout, c'est classique, le patient, il est touché, le médecin non. Alors, c'est bien logique, il faut se protéger de ce qu'on n'a pas. Certes, mais on ne va pas protéger quelqu'un de ce qu'il a (peut-être ou déjà). Et puis si on l'enfonce un peu plus ou un peu moins la tête sous l'eau, c'est moins grave que de se casser une jambe, c'est juste de la maladresse à la con de la part d'un professionnel de la santé perdu dans une organisation estivale qui tire sur les ficelles du moindre coût et l'augmentation des ratages les plus effrayants. Et dans le milieu, on n'est pas à une bavure près. On manipule juste des vies. Et une vie, c'est rien ! Mais oui, c'est ça ! Et s'il s'agissait de la tienne bigorneau, ce serait bien différent, avec ton air de trou du cul, tu serais embêté comme une truffe. Comme moi ! Oui. C'est évident.
La morphine me fait gerber. La chaleur me casse. Rien ne change. Samedi fin d'après-midi, Fred dévoué et inquiet continue d'aboyer cette fois-ci sur ma mère. Vexée mais dévouée (si si elle aussi), elle file me chercher avec Alain (son ex que je préfère) pour me conduire aux Urgences où je suis attendu car mon roquet chéri d'amour a appelé tout le monde pour avoir le numéro de portable du médecin qui s'occupe de moi et il l'a dérangé dans sa petite vie (il se baignait en dordogne lol). Ce dernier, adorable (il faut le dire), l'a bien accueilli et ils ont parlé ensemble de la marche à suivre la plus sûre (aller faire un petit tour aux urgences). La plus sûre mais la moins rapide : arrivée vers 17h, départ vers 00h30. Diagnostic plus rassurant : réaction de la chimio sur le foie (pas forcément mauvais signe car la chimio en faisant son travail peut me faire mal au foie). Action efficace : une dose de Cortisone injectée par les veines accompagné de Mopral protecteur gastrique atténue bien la douleur sans la faire disparaitre complètement. Rassuré et enfin heureux de moins ressentir cette torture (accro à moi) depuis trois jours, je rentre pour manger et dormir avec mon roquet chéri. Ah je l'aime celui-là, sinon, ça ferait longtemps qu'il terminerait dans sa niche. Mais je le garde tant qu'il ne mord pas car mis à part ça il est doux, tendre, câlin et il a un coeur gros comme ça. Mais le jour où il mord, je le vire (c'est mieux que de le piquer), car après le cancer, je vais pas en plus me choper la rage !
Voilà ce que c'est d'aimer. Voilà ce que c'est de souffrir quand on a le cancer. Et quand tout cela se mélange, voilà le cocktail détonnant que j'ai voulu partagé avec vous chers lecteurs virtuels. Une tranche de mie, non de vie, d'un cancéreux amoureux. Peace and love.